Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Archives Mandragoriennes
14 mars 2008

Quand les artistes se révoltent contre l'industrie musicale

« Un taureau désorienté dans un magasin de porcelaine ». C’est ainsi que le chanteur de Radiohead, le plus grand groupe de rock au monde, décrit l’arrivée au financier Guy Hands à la tête du label EMI, l’éditeur des Beatles et des Pink Floyd. Encore sous contrat chez EMI, à l’inverse de Radiohead, le chanteur Robbie Williams fait grève contre ce qu’il appelle une forme d’ « esclavagisme ».
Et les Rolling Stones sont sur le départ pour Universal. Au moment où la grève des scénaristes s’enlise à Hollywood, la révolte des esclaves dorés du disque illustre l’angoisse des créateurs face à la révolution numérique. A cet égard, le plan social d’EMI, qui vise à supprimer un tiers des effectifs, pourrait bien marquer la fin d’un modèle et du règne des majors sur l’industrie du disque.

Remettre les stars au pas, telle est la volonté affichée par le patron de la bien nommée firme d’investissement Terra Firma. Fini les avances inconsidérées et les budgets marketing exorbitants. Dès l’automne, le nouveau propriétaire du label avait déjà annoncé des changements fondamentaux en dénonçant le « manque de culture de travail collectif » chez EMI.
Artistes assoupis, cadres et directeurs artistiques surpayés sans la moindre indexation de leurs résultats sur le box-office… Tous sont encouragés à adhérer à une nouvelle forme de « partenariat basé sur la transparence et la confiance » ou …. à prendre la porte. Il est vrai que Terra Firma s’est offert le label des Beatles au prix fort (4,8 milliards d’euros y compris sa dette) en août dernier juste avant que n’éclate la crise du crédit. Le plan social d’EMI pourrait illustrer le cas classique d’une entreprise mal gérée qui a vécu sur un train excessif dans un secteur en plein chambardement. Les ventes de CD enregistrés, qui représentaient encore plus de 80% du chiffre d’affaires des majors en 2006, sont en en chute libre. Celles de musique en ligne sur iTunes ou d’autres plates-formes de téléchargement sont loin de compenser l’érosion des supports physiques. Malgré l’activisme du PDG de la FNAC, Denis Olivennes, le piratage par téléchargement illégal ne suffit pas à expliquer à lui seul la crise de l’industrie musicale.

La révolte des artistes est le signal d’un malaise profond, qui touche l’ensemble des industries culturelles confrontées à la délicate adaptation du droit d’auteur à la révolution numérique et à une révision drastique des relations créateurs-producteurs. Certes, la rébellion est encore limitée. Mais après Paul McCartney, Radiohead, et Madonna__qui a quitté Warner Music pour s’associer avec l’organisateur de concerts Live Nation__, Robbie Williams, Coldplay et The Verve menacent de prendre leur indépendance. De plus en plus d’artistes réalisent que la part de revenus tirés de l’organisation de concerts devient plus importante que celle liée à la vente d’albums. Certains sont même tentés de distribuer gratuitement leurs CD afin d’assurer la promotion de leurs tournées. Près de un million d’exemplaires invendus du dernier album de Robbie Williams vont être envoyés au pilon en Chine afin d’être réutilisés dans le revêtement routier.
La fin du « star system » oblige l’ensemble des majors du disque à repenser entièrement leur stratégie. Certains ont anticipé le mouvement. Grâce à la découverte de nouveaux talents, tels que Mika ou Amy Winehouse distribués en ligne (sans aucune forme de protection anticopie), Universal Music (filiale de Vivendi) a réussi à maintenir sa part de marché à 26%, près du double de celle d’EMI.

On peut, certes, considérer que l’industrie du disque a trop longtemps vécu sur un grand pied. Que les pop stars ne « méritent » pas forcément leurs revenus stratosphériques. Mais la fronde des stars du disque coïncident aussi avec un changement de modèle qui dépasse l’industrie musicale.  D’une certaine manière, le conflit qui oppose les scénaristes américains aux majors hollywoodiennes depuis le 7 novembre est fondé sur les mêmes prémices : l’angoisse des créateurs face à la redéfinition d’une chaîne de valeur. En refusant d’accorder aux scénaristes un pourcentage de 2.5% sur les diffusions numériques, les majors hollywoodiennes usent du même argument que le nouveau patron d’EMI : il faut repenser entièrement le système de rémunération des auteurs à partir de différents types de recettes plus complexes et d’une déconcentration de l’offre. A la différence près que les majors hollywoodiennes ont les reins plus solides que l’oligopole des majors du disque face au « tsunami » de la numérisation des médias. Si les artistes-interprètes peuvent, à terme, se passer des majors du disque, les studios hollywoodiens verrouillent encore solidement la fabrication et la distribution des contenus audiovisuels grâce à l’institution du copyright.

Changer de modèle suppose de casser le moule. Et d’instaurer un nouveau rapport de confiance avec les artistes. C’est bien ce que souhaite faire le nouveau patron d’EMI. Il n’est pas dit qu’il soit le mieux placé pour jouer la rupture, mais il a au moins le mérite d’aborder le secteur avec un regard neuf. Il ne suffira pas, toutefois de tailler dans les effectifs et les budgets de promotion pour trouver la recette miracle. Selon le spécialiste américain du marketing viral, Seth Godin, auteur du best-seller « Tous les marketeurs sont des menteurs » (2006), l’âge d’or de l’industrie du disque, qui a commencé avec la naissance du rock et l’euphorie des baby-boomers, est bel et bien révolu. Fini les mégaorganisations, les grandes surfaces spécialisées et les marges de profit extraordinaires…L’heure est au marketing communautaire. Pour Seth Godin, « music is social ». La dimension sociale de la musique est essentielle : les gagnants de l’industrie musicale de demain seront « les individus et les organisations qui créeront des communautés, connecteront les gens, diffuseront les idées ».

Si elles veulent survivre, les majors du disque vont devoir réinventer d’urgence de nouvelles règles de partage de valeur avec les artistes. Sous peine de perdre le contrôle des catalogues. Comme dit Set Godin, le meilleur des moments pour changer de modèle économique, « c’est quand vous avez encore assez d’élan pour le faire ».

Pierre de Gasquet
Les Échos
      lundi 21 janvier 2008  
 

Publicité
Publicité
Commentaires
Archives Mandragoriennes
Publicité
Publicité