Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Archives Mandragoriennes
10 août 2007

Le sombre bilan de la recherche française

La recherche biomédicale française mobilise près de 30.000 chercheurs, ingénieurs et techniciens dispersés au sein d'un millier de laboratoires publics implantés dans une cinquantaine de villes. Cet ensemble publie en moyenne 10.000 articles par an, dans près de 3.000 journaux scientifiques de valeur très inégale. L'enquête révélée aujourd'hui par « Les Echos » a été réalisée à l'Institut Necker à Paris. Elle est le résultat de deux ans de travail et de 8.000 heures d'analyse des travaux de cette communauté. Le bilan et les commentaires qui suivent ne sont pas un article d'humeur. Il révèlent la place réelle de ce secteur, mesuré par sa présence dans les vingt journaux d'excellence qui publient 90 % des grandes percées scientifiques de la planète. L'intégralité des classements individuels, par institutions et par disciplines, ainsi que la méthodologie utilisée sont disponibles sur le site des « Echos » à partir d'aujourd'hui (1).

Aucun doute, le feu est dans la maison de la recherche biomédicale hexagonale. Le pays de Pasteur progresse beaucoup moins vite que les autres nations et connaît un déclin relatif qui s'accélère depuis cinq ans. En 2004, la France se classait au cinquième rang mondial en valeur absolue, avec 5,5 % du total des articles publiés, mais seulement 3,8 % des publications assurées par les grands journaux de référence. Dans le domaine des biotechnologies, source essentielle des progrès de la biologie, de la médecine, des nouveaux médicaments et des nouvelles techniques d'exploration, ce ratio ne dépasse pas 1 %. Rapporté au nombre d'habitants, l'Hexagone recule à la 14e place, dépassé par le Canada, la Suisse, l'Australie, les quatre pays scandinaves, les Pays-Bas, Israël et naturellement les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Japon (voir illustration). La totalité de la recherche biomédicale française, équivaut au tiers de la production de la Californie, à 45 % de celle de la ville de Boston, aux deux tiers de celle de New York ou de la seule université Harvard et à peine plus que celle de Cambridge et Oxford.

Cette enquête, nommée « P5.N », compare Paris et la province dans le but d'évaluer les effets de la concentration sur la créativité des chercheurs. Plutôt que de créer de grands centres d'envergure mondiale, l'Etat a privilégié pendant trente ans une politique de saupoudrage dite « d'aménagement du territoire ». Cette stratégie égalitariste ne tient compte ni des besoins ni des outils désormais nécessaires aux sciences du vivant. Au même titre que la physique, cette discipline est devenue, une « big science ». Elle exige des plateaux techniques de très haut niveau et des remises au goût du jour technologiques régulières et coûteuses.

Paris et Strasbourg

Alors que la biologie américaine se concentre dans 15 villes des côtes est et ouest et laisse vide les quatre cinquièmes du territoire hormis Chicago et le Texas, l'Etat et les régions ont implanté, partout, comme la plage à Paris, une multitude de petites structures isolées, vouées dès le départ à l'échec, sans se préoccuper d'y rassembler la masse critique de chercheurs et de moyens. Les équipes sont émiettées dans des petits centres mal équipés, dispersés aux quatre coins des villes, au hasard des vieux bâtiments disponibles : cinquante à Paris et une vingtaine à Lyon et Montpellier. Dans ce contexte, l'analyse des performances révèle des écarts impressionnants entre les chercheurs dont la créativité et la production varient dans un rapport 1 à 200. L'écart est un peu moins marqué pour les unités de recherche (de 1 à 50), les institutions (de 1 à 40) et les grands ensembles (de 1 à 20).

Le classement des grands ensembles, universités et grands instituts (500 chercheurs en moyenne) confirme la supériorité de Paris et donc l'effet de la masse critique. La capitale place 6 ensembles dans les 7 premiers : Paris-V devance l'Institut Pasteur, l'ensemble de la montagne Sainte-Geneviève et le CNRS de Gif et les universités Paris-VI et VII nettement distancées. En province, Strasbourg se glisse au 3e rang de ce septuor d'élite, suivie par Marseille, Montpellier et Lyon. Toulouse, Nice, Grenoble sont très nettement dépassées et Lille, Bordeaux et Nantes arrivent plus loin encore. Derrière ce Top 15, une quinzaine de villes ne comptent guère. Elles ne rassemblent que 5 % des publications alors qu'elles concentrent 12 % des chercheurs.

Le classement des 90 institutions (comprenant 140 chercheurs en moyenne) identifie cinq groupes. Les médailles d'or vont à six centres représentant 15 % des chercheurs. Ce sont pratiquement les seuls de niveau international. Dans l'ordre, Necker et l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (IGBCM), suivis par les Instituts Pasteur et Curie, du CNRS de Gif, du Centre d'immunologie de Marseille Luminy (CIML) et de l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC), également basé à Strasbourg. L'Institut Pasteur, au premier rang en valeur absolue grâce à la masse de ses chercheurs, pointe au 12e rang en valeur relative. L'institut parisien réunit des unités prestigieuses, mais aussi beaucoup d'autres qui ne le sont pas ou plus. Ce recul traduit probablement un problème majeur de rajeunissement, de recrutement et de recentrage. Derrière ce peloton, on trouve huit institutions d'excellence à un moindre degré regroupant 15 % des chercheurs : ENS Paris, Institut F. Magendie de Bordeaux, Institut Pasteur de Lille, Facultés de médecine Saint-Louis, Cochin, Pitié-Salpêtrière et Saint-Antoine de Paris, Institut Gustave-Roussy de Villejuif et CNRS de Montpellier.

Viennent ensuite des centres de bon niveau comprenant quelques unités d'excellence : ENS de Lyon, CEA d'Orsay, Institut de biologie du développement de Marseille (IBDM), Institut de biologie moléculaire des plantes de Strasbourg, Inra de Grignon, Jouy et Versailles, Inra-Cirad-IRD Montpellier, Inra Castanet-Tolosan, Centre de génétique d'Evry, Institut de biologie physique et chimique de Paris, CNRS et faculté des sciences de Nice, facultés de médecine Bichat, Paris-XI, Paris-XII, Lyon et Toulouse.

Institutions en déclin

Par contre, beaucoup des 16 institutions suivantes, employant 20 % des chercheurs, sont en stagnation ou en déclin. C'est particulièrement le cas d'un Collège de France vieillissant, à une ou deux équipes près, de l'Institut Jacques-Monod (Paris-VI et VII), en totale perdition, et de l'Institut Cochin de génétique moléculaire, la plus grande et la mieux dotée des unités de recherche de France. Hormis deux équipes, ce centre vit sur une réputation ancienne et médiatisée et n'a pas su se renouveler. Plus inquiétant encore est l'échec marqué des départements de biologie de toutes les facultés des sciences, souvent liées au CNRS, alors que ces universités sont au plus haut niveau dans d'autres disciplines (mathématiques, physique ou géosciences). C'est le cas des universités de Paris-XI, Paris-VI, Lyon, Grenoble. De même, certains centres CNRS sont dans des situations plus que préoccupantes, à Marseille-Aiguier, Toulouse, Villejuif et les Saints-Pères de Paris-V (avec, ici ou là, quelques équipes de bon niveau). Plusieurs grandes facultés de médecine et les centres Inserm qui leur sont liés déçoivent tels Bordeaux, Lille, Montpellier, Nice et l'Institut des Cordeliers de Paris-V et VI.

Les 45 dernières institutions réunissent près du tiers des chercheurs et comportent deux sous-groupes. Le premier comprend 16 petites structures de qualité, pénalisées par leur taille insuffisante, leur isolement ou leur discipline, tels l'Ecole polytechnique, l'Ecole supérieure de physique et chimie industrielles, les centres CNRS d'écologie (CEFE) et de zoologie de Montpellier, le CEA de Cadarache. En revanche, les 29 autres centres sont pratiquement à la dérive, à quelques équipes près. C'est notamment le cas du département de biologie du Muséum (105 chercheurs), des facultés de médecine de Paris-XIII et Paris-Ouest.

12.500 chercheurs

L'enquête est fondée sur l'évaluation individuelle des travaux des 3.800 chercheurs identifiés comme auteurs principaux des 45.000 articles publiés entre 2000 et 2005 (sur un total de 12.500 chercheurs publics en poste dans les sciences du vivant). Cette vaste communauté comprend en fait 101 chercheurs constituant un groupe de « super excellence ». Entre 2000 et 2005, ils ont signé de 2 à 10 publications dans les 7 plus grands journaux et 60 % de ces articles sont du plus haut niveau mondial. Une cinquantaine de ces chercheurs hors norme font véritablement partie du peloton des « french stars » de la « jet society » scientifique internationale. En toute logique, cette élite devrait bénéficier d'une liberté d'action totale et de moyens pratiquement illimités pour rivaliser avec ses concurrents de Boston, San Diego ou de Londres.

Dans ce paysage contrasté, les EPST (2) cumulent quatre missions. Celles de gestionnaire, d'opérateur, d'évaluateur et de « valoriseur ». Ils ont échoué partout, malgré les efforts des meilleurs de leurs directeurs pourtant privés de réelle autonomie. Ces établissements ne devraient plus être aujourd'hui que des agences en charge de la répartition des moyens sur des projets sélectionnés. En devenant des filiales de l'Agence nationale de la recherche, ils laisseraient l'évaluation des chercheurs à une agence indépendante et la valorisation à des organismes réellement privés. Plus tard, la gestion des carrières des chercheurs-enseignants devrait être confiée à des universités rénovées, autonomes et dotées d'un statut d'Epic (3) et, elles aussi, sévèrement évaluées.


Les échos.fr

10 aout 2007

Publicité
Publicité
Commentaires
Archives Mandragoriennes
Publicité
Publicité