Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Archives Mandragoriennes
29 janvier 2008

l'Union européenne sort de la crise sans boussole

Les  vieux briscards de la  construction européenne ont coutume de dire que l’Europe ne progresse que par crise successives. Et qu’elle se relève de chaque coup dur plus forte qu’avant. Pad sûr sur que l’adage fonctionne cette fois. La pénible parenthèse qui s’est ouverte au printemps 2005 avec le « non » tonitruant de la France et des Pays-Bas au référendum sur le Traité constitutionnel européen est certes sur le point  de se refermer. Le Traité de Lisbonne est venu se substituer au texte qui avait déchainé les passions, les vingt-sept États membres, appelés à ratifier le texte cette année, reformuleront à cette occasion leur vœu d’appartenance commune à une Union de valeurs. On peut douter cependant que l’Europe sorte renforcée de cette dernière épreuve et qu’un avenir prospère, serein et assumé s’étire devant elle à parte de vue…

Sur le plan technique, c’est vrai, le contrat est rempli. Les 285 articles du nouveau traité vont permettre à l’Union de travailler plus efficacement. Le texte est d’une rare complexité, mais au moins rendra t-il le fonctionnement de cette immense machine bureaucratique plus facile et plus démocratique. On note au passage que, des trois institutions clefs qui composent l’équilibre institutionnel de l’Europe, seuls, le Parlement et le Conseil européen ont été renforcés. Le premier voit le champ de ses prérogatives législatives accru, le deuxième est doté d’un président stable. La Commission, instance « supranationale » par essence peu cotée en ces temps de repli nationaliste, a été délibérément négligée.

Évidemment, le tour de passe-passe juridique du magasin Sarkozy laissera des traces chez le citoyen européen. Même s’il a mis les formes en prévenant les Français pendant la campagne électorale qu’il ne soumettrait pas le traité révisé à referendum, le sentiment de malaise__ d’humiliation pour certains__prévaut. Mais, depuis qu’il s’est fourvoyé dans l’euroscepticisme et a eu le mauvais goût de rejeter « l’excellente » Constitution de l’ancien président français, Valérie Giscard d’Estaing, le citoyen a été décrété persona non grata dans les cénacles européens. Si les projets lancés à Bruxelles sont désormais frappés du label de la citoyenneté __ de l’énergie au réchauffement climatique, il s’agit de « répondre aux préoccupations exprimées par les citoyens » __ ces derniers sont scrupuleusement écartés, en tant que tels, des mécanismes de décisions. Ainsi, les choses sont-elles rentrées dans l’ordre : le nouveau traité est redevenu aussi illisible que les précédents __ alors que les rédacteurs de la constitution avaient fait l’effort de rédiger un texte compréhensible et cohérent__, les ratifications du traité de Lisbonne se feront cette fois toutes (sauf une, celle de l’Irlande, mais elle y est obligée pour des raisons constitutionnelles) par la voie réglementaire qui a l’avantage d’être prévisible, et l’Europe peut à nouveau se draper dans son large manteau d’opacité.

Plus grave, sur le fond, les gouvernements se sont chargés eux-mêmes d’interpréter les motifs de rejet de la Constitution par une partie de l’opinion publique européenne. Le texte remanié l’a été de façon très symptomatique : l’essentiel des réformes institutionnelles, proposées par la Constitution, a été préservé comme la présidence stable du Conseil européen, le champ du vote à la majorité et son mode de calcul, le « ministre » des Affaires étrangères… mais ont été expurgés du texte l’âme, le souffle, l’ambition. C’est le contraire du « façadisme », en vogue dans nos grandes villes. L’architecture intérieure a été sauvegardée, mais les atours et les symboles ont été jetés en pâture à une opinion publique prétendument déçue par l’Europe. En vérité, ce qui a été sacrifié au nom des citoyens, c’est le dessein commun.

Quelques-uns font encore semblant d’y croire. Il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy, qui se veut pragmatique, mais s’affiche surtout comme un Européen de conviction, a proposé à ses partenaires de créer un « comité des sages » qui réfléchirait à l’avenir de l’Europe, à l’horizon 2020/30. Il voulait que l’on se pose la question des missions qui doivent être confiées à l’Union et par voie de conséquence celle des frontières de l’Union. Il souhaitait que les Européens réfléchissent aux « possibilité d’un nouveau rêve européen ». Il n’a pas caché qu’il s’agissait à cette occasion de mettre sur la table la question de l’adhésion de la Turquie, à qui il dénie le droit d’avoir sa place en Europe et au sein de l’Union européenne. La réponse du Conseil européen au sommet de décembre, à Bruxelles, a été éloquente : le « groupe de réflexion » verra bien le jour, ne serait-ce que pour calmer les velléités du président français qui menaçait, si ce groupe ne voyait pas le jour, de mettre son veto aux négociations d’adhésion avec la Turquie. Mais son mandat  a été limité au strict minimum : ni le mot « Turquie » ni le mot « frontières » n’y figurent plus.

Et pour cause, la plupart des pays européens n’ont qu’une idée en tête : agrandir encore l’Union. La Slovénie vient annoncer qu’elle souhaitait durant sa présidence, au premier semestre 2008, faire progresser les candidatures de la Macédoine, du Monténégro, de la Serbie, de la Bosnie-Herzégovine et de l’Albanie. Elle vaut aussi préparer les futurs élargissements, notamment avec la Croatie et la Turquie. D’ailleurs, la Commission européenne répète souvent, au nom des Vingt-Sept qui partagent son opinion, que les pays des Balkans ont « une vocation naturelle » à entrer dans l’Union. D’autres privilégient l’ouverture à l’Ukraine, jugée « au moins aussi européenne » que la Turquie. L’élargissement de l’Europe ne fait donc aucun doute. Et, à l’exception peut être de la Turquie dont le rattachement à  l’Europe pose un vrai problème géographique et politique, personne sur le Vieux Continent ne conteste la logique historique inéducable de la construction de cette Europe élargie. Ce qui reste vague en revanche, c’est le projet. Plus l’ensemble s’élargit, plus il perd en cohérence. Plus il est hétéroclite, plus le projet commun perd en consistance. Cette question là reste taboue. Et si elle n’a jamais été abordée, c’est parce qu’elle divise, profondément. Certains pays membres se contenteront d’un marché de plus d’un demi-milliard d’habitants, vaguement harmonisé. D’autres rêvent d’une Union plus intégrée où s’organisent des politiques communes qui poussent à la convergence des niveaux de vie et des valeurs. Entre élargissement et approfondissement, l’Union européenne a toujours balancé. La pression de l’histoire et l’absence de volonté politique sont en train de la faire basculer inexorablement du côté de la facilité.

Catherine Chatignoux

Les échos

Vendredi 4 et samedi 5 janvier 2008

L’ensemble de cet excellent article est à découvrir !
Tout particulièrement don dernier paragraphe qui résume parfaitement la situation selon moi.

Publicité
Publicité
Commentaires
Archives Mandragoriennes
Publicité
Publicité